OLIVIER CHARPENTIER / Isabelle Châtelet (2005)


« Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit »

Olivier Charpentier a choisi de peindre cette fois avec Apollinaire à l’esprit. Ce n’était pas pour épouser les préférences picturales bien connues du poète qui, à l’occasion, se fit volontiers critique d’art. Mais bien plutôt habité par les Poèmes à Lou, s’emparant de fragments du Bestiaire, il en a retenu des vers, des bribes, pour donner son titre à chaque pièce de deux séries distinctes. Le liseré de couleur qui encadre la plupart des huiles et le boîtier qui enferme invariablement les monotypes sont seulement les indices formels de l’unité respective des deux séries, surgies chacune d’un même creuset, dans un même mouvement et avec la même promptitude. Tout un univers jaillit, se déployant en de multiples scènes, et aspire quiconque se prend à y entrer. On s’y promène, allant de l’une à l’autre sans souci de suivre un ordre et séduit par leur cohésion. Si, inversement, le regard s’arrête sur l’une d’entre elles, il ne peut être que saisi par la sûreté du geste de l’artiste, sa concision, et la vivacité de la touche : la courbe de la hanche qui souligne à la fois la fermeté de la chair, sa sensualité laiteuse et le mur mat de la chambre, l’ombre esquissée du cheval qui en fait résonner la course effrénée sous la lune, la silhouette du réverbère sur le pont qui convoque à elle seule la ville entière noyée dans la nuit blafarde, ou encore le flou orange où le dromadaire ondule dans la chaleur, devancé au loin par d’autres. Quelques contours, deux ou trois couleurs, un contraste de lumières, la scène succincte, et le visage de Lou se fait présence crue, la tête de Guillaume souvenir, la roue du paon tout yeux, le sang gicle. Pareille force d’évocation se passe de toute exactitude réaliste - l’herbe est rouge, la puce immense, la trompette creuse, le serpent ondulations. La teinte, la tache ou le trait forment ellipse. Par là ils rejoignent, au moment même où on les avait presque oubliées, la poésie et la simplicité du vers d’Apollinaire, dans sa drôlerie, sa fulgurance, sa désinvolture, son cri.


© Isabelle Châtelet (août 2005)